16 décembre

L’Effet de trop en mentalisme

La plupart des mentalistes possèdent une expérience en magie. C’est un bon point ; une connaissance approfondie de la magie facilite l’apprentissage du mentalisme. Néanmoins, certains usages pratiqués dans le royaume magique ne peuvent être transposés au pays du mentalisme.

En magie, il est courant « d’empiler » différents effets. Un billet de banque ne se contente pas de disparaître, mais il a d’abord été déchiré et brûlé pour réapparaître intact dans un citron scellé, lequel citron se transforme en un verre de jus de citron. Autre exemple : dans une routine de chop cup, non content de faire apparaître des balles et des fruits sous le gobelet, le magicien transforme celui-ci en un bloc de métal compact qui rend les événements précédents impossibles. Corollaire naturel de cette propension à empiler les effets : les magiciens aiment conclure leurs tours avec un finale qui surprend tout le monde.

En magie, où un effet peut se superposer à un autre, cela ne pose pas de problème. Dès lors, on comprend cette tendance à vouloir ajouter des finales inattendus aux routines de mentalisme. Mais prenez garde ! La réaction du mentalisme, elle aussi, pourrait être inattendue !

Imaginez le scénario suivant ‒ malheureusement très fréquent. Le mentaliste demande à un spectateur de penser à n’importe quel mot dans un livre. Ensuite, il se concentre et devine le mot pensé, en le révélant lettre après lettre. La révélation de ce simple mot lui prend environ cinq minutes, et nous supposerons que cette séquence aura captivé l’auditoire. Après cette démonstration pure de lecture de pensée, le mentaliste se retourne et attire l’attention du public sur un grand tableau noir recouvert d’un tissu. Il tire ce dernier pour révéler en gros caractères le mot auquel le spectateur pense.

C’est clairement un finale inattendu !

Si j’apprécie l’agrément visuel qui est apporté, c’est l’exemple même d’un tour mal structuré. Quel est l’effet de ce finale ? Le mentaliste n’a pas seulement lu dans les pensées du spectateur, mais il a aussi prédit le mot choisi par ce dernier. Malheureusement, les deux effets présentés ‒ la lecture de pensée et la divination ‒ sont en contradiction l’un avec l’autre. À l’évidence, le mentaliste connaissait ce mot à l’avance, sans quoi il n’aurait pu l’inscrire sur le tableau noir. Or, s’il avait une connaissance préalable du mot, il n’a pas vraiment lu dans les pensées du volontaire. En fait, il a mené le public le bateau durant tout ce temps, en lui faisant croire qu’il lisait dans l’esprit du spectateur alors qu’il connaissait ce fichu mot depuis le début. Conclusion : les cinq dernières minutes n’ont servi à rien.

En gros, soit vous lisez dans les pensées, soit vous faites des prédictions. Les deux en même temps, ça ne fonctionne pas. D’ailleurs, si vous vous contentez de représenter une aptitude à la fois ‒ la télépathie ou la précognition ‒ vous montrerez davantage de cohérence et vous serez plus crédible.

Bien sûr, il y a toujours des exceptions.

Il existe effectivement une situation où j’estime que l’introduction soudaine d’une prédiction après une séquence de télépathie est acceptable. Le mot clé est « soudaine ». Pendant que vous procédez à une lecture de pensée, vous ne devez pas penser à la prédiction. En fait, c’est juste après avoir lu dans la pensée de votre participant que vous vous rappelez soudainement de la prédiction. Comme si quelque chose au sujet de cette prédiction (la façon dont elle est rédigée, l’endroit où elle se trouve) s’était dérobé à vous.

Imaginez un autre scénario : le mentaliste demande à un spectateur de penser à n’importe quel mot dans un livre. Il lit dans sa pensée et révèle les lettres de ce mot, l’une après l’autre. Encore une fois, il passe environ cinq minutes à révéler le mot « camion-poubelle ». Après cette démonstration de pure télépathie, il salue le public et s’interrompt subitement. « Attendez ! Attendez ! », s’écrie-t-il. Il commence à farfouiller dans sa poche de poitrine. « Avant le spectacle, en coulisses, j’ai eu une vision étrange. Des lettres de l’alphabet semblaient venir de nulle part et se sont mises à tourner à grande vitesse autour de moi. Elles se rapprochaient de plus en plus à chaque révolution. Finalement, elles se sont arrêtées juste devant mes yeux, et elles vibraient. Ces lettres se sont ensuite réarrangées entre elles pour former quelques mots. Des mots qui n’avaient aucun sens pour moi. Je les ai écrits pour les sortir de ma tête… » Le mentaliste finit par trouver une petite enveloppe dans sa poche, l’ouvre précipitamment et en sort une page froissée. « Parmi tous les mots qui s’affichaient, je n’en ai reconnu qu’un seul. C’était camion-poubelle ! Monsieur, s’il vous plaît, quel est votre nom ? » Le spectateur répond « Avon Barksdale ». Le mentaliste poursuit alors : « Maintenant, tout cela m’apparaît clair. J’ai eu une vision de tout ça ! Regardez ce que j’avais écrit : “Avon B.” et “camion-poubelle”. »

Amené de la sorte, le tour fonctionne bien. Nous sommes toujours en présence de deux effets ‒ la télépathie et la précognition ‒, mais ici le mentaliste ne se rend pas tout de suite compte qu’il connaît déjà le mot choisi par le spectateur. Cette « prise de conscience » spontanée lui arrive totalement par surprise. Dans ce cas précis, ces deux effets ne s’excluent pas, mais sont complémentaires. Cette fois, l’opérateur ne tue pas le temps à faire semblant de révéler un mot qu’il connaît déjà : ces deux aptitudes psychiques cohabitent donc à merveille.

Extrait du livre Ultra mental de FLorian Severin :

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